Lorsqu’on est confronté au réel, on réagit suivant notre structure mentale, selon nos habitus : l’agir suit l’être.
Devant l’horreur, la peur et le deuil que les événements tragiques de ces derniers jours doivent susciter chez n’importe quel citoyen, le catholique est souvent resté de marbre. Certains ont même adopté une attitude scandaleuse.
« Les terroristes sont entrés dans le Bataclan pendant un champs d’adoration du diable ! »
« Un catholique ne serait pas mort durant les attentats, il n’aurait pas été exposé ! »
« C’est un groupe sataniste, c’est un châtiment ! »
Le catholique se moque de la vérité, il ne lit le réel qu’au travers de son prisme surnaturalisto-janséniste. Il est kantien par essence, la vérité ne l’intéresse pas. Pire, il n’a cure de l’outrage, de l’acte de guerre, de l’acte politique qui vient de se produire sous ses yeux.
Rétablir la vérité
Nous ne voulons pas défendre les bauf’ gras et vulgaires des Eagles of death metal, mais il serait honnête d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’un groupe sataniste. Ni même d’un groupe de hard rock ou de « heavy metal ». D’ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, aimer la grosse guitare avec distorsion n’est pas un péché mortel. Bref, le second degré, l’humour de garage, le rock californien de mauvais gout, le catho l’assimile à de la musique sataniste. Normal, il lit le réel à travers son « prisme ».
La charité sélective
« Lorsque saint Paul parle de la charité, il est évident qu’il n’incluait pas les rockeurs californiens, ni les vendeurs de billets, ni les vigiles du Bataclan. Ces salopards n’ont pas droit au salut, ni à notre compassion. » N’est-ce pas au fond ce que les bien-pensants « catholiques » nous expliquent ?
Qu’on ne se méprenne pas, nous ne faisons pas de l’humour, notre colère nous en empêche. Il est temps de sortir des carcans intellectuels, de ce vice de l’intelligence qui conduit, à travers les jugements téméraires fondés sur l’inexistence de formation réaliste, à l’outrage à la Charité. Plus encore : ce drame odieux est un crime contre la Patrie. Qui s’en est ému de la sorte dans notre famille de pensée ?
L’odieux communiqué de la FSSPX française
Comme si cela ne suffisait pas, M. l’abbé Bouchacourt surligne la tendance. Loin d’appeler à la compassion et à l’action politique et civique les fidèles, il profite de l’occasion pour nous resservir ses salades habituelles sur ce qu’il croit être le règne du Christ Roi. Bien sûr, si l’Etat était catholique (il ne sait même pas ce qu’il entend par là, soyez-en sûr) un tel attentat n’aurait pas été possible.
Une telle négation de l’ordre naturel, un tel surnaturalisme est une erreur caractéristique de nos milieux dépolitisés et déformés. Utiliser une telle occasion pour faire étalage de son idéologie est une offense pour tout homme de bon sens, pour tout citoyen endeuillé. Nous avions besoin d’entendre autre chose que cette sentence assénée le plus froidement du monde : « oui, nous les tradis, nous avons la solution miracle ». C’est bien connu, la guerre de 1000 ans contre les Maures en Espagne n’a pas eu lieu parce que les espagnols étaient catholiques.
Retour au réel
Ils sont plus réalistes que nous, ces païens qui ont soutenus l’action des forces de l’ordre pendant la tuerie de ce vendredi 13, qui ont appelé à la compassion envers les victimes, qui ont dénoncé les attentats dans le monde entier, qui ont appelé à la croisade contre l’islam.
Tant que nous refuserons de lire le réel pour ce qu’il est et que nous nous réfugierons dans la simplicité réconfortantes de nos constructions mentales « catholiques » : surnaturalisme, jansénisme, augustinisme mêlé de complotisme primaire et d’apparitionnisme béat, et tant que nous ne reviendrons pas à une saine approche de la science politique d’après l’école de Thomas d’Aquin, nous ne serons que des « airain qui résonnent et des cymbales qui retentissent »
L’attitude catholique et politique devant ces événements
Revenons à la notion de Charité, telle que nous l’expose l’Aquinate. Saint Thomas explique que la charité est une amitié et que « d’après Aristote ce n’est pas un amour quelconque qui a raison d’amitié, mais seulement l’amour qui s’accompagne de bienveillance, celui qui implique que nous voulons du bien à ceux que nous aimons. »
La charité implique la bienveillance. Aimer son prochain ce n’est pas simplement un sentiment plus ou moins vague, c’est un impératif positif. La charité nous pousse à produire des actes bons et à faire le bien à notre prochain. Dans ce cas précis, prier pour les morts, les blessés, les proches des victimes, et même pour les islamistes est la chose la plus élémentaire. Mais la charité doit être agissante. Souvenons-nous qu’on ne se sauve pas seulement par la contemplation, mais aussi par nos actions. Et face à un drame qui touche la société, la réponse doit être portée dans le champ politique. C’est d’ailleurs un impératif majeur de l’Ethique : aujourd’hui c’est pour le bien commun qu’il faut agir. En effet, il n’y a pas de plus grand acte de charité que de poursuivre le bien commun. Inversement, « il est impossible que quelqu’un soit bon, s’il n’est pas bien disposé à l’égard du bien commun ».
D’un point de vue individuel, nous pouvons proposer notre aide, soutenir les gens qui souffrent (mails, articles, appels, déplacements), demander des nouvelles, faire des dons, montrer l’exemple de la vertu comme le Christ l’a fait pour nous, etc.
Aller plus loin dans la Charité
Thomas d’Aquin continue : « Cependant, la bienveillance ne suffit pas pour constituer l’amitié ; il faut de plus qu’il y ait réciprocité d’amour, car un ami est l’ami de celui qui est lui-même son ami. Or, une telle bienveillance mutuelle est fondée sur une certaine communication. » Comment aimer l’autre si nous ne le connaissons pas ? Comment connaitre l’autre si nous restons dans notre tour d’ivoire et si nous gardons nos structures mentales erronées ? Ces mêmes structures mentales qui n’ont toujours pas rétablit le règne du Christ-Roi depuis 1789, la situation n’ayant fait qu’empirer, ni même empêchées Vatican II (on juge un arbre à ses fruits).
Rapprochons nous du monde « extérieur », qui n’ait d’extérieur que parce que nous nous enfermons dans notre microcosme. Qui connaissait ceux qui étaient au Bataclan ? Qui connaissait les musiciens ? Qui connaissait la façon de penser de ces gens ? Leurs états d’âmes ? Ne soyons pas prompts à dispenser des jugements et des sentences. Seul Dieu lit directement dans les cœurs.
« On a de l’amitié pour quelqu’un de deux façons. Ou bien on l’aime pour lui-même, et alors l’amitié ne peut s’adresser qu’à l’ami. Ou bien on aime quelqu’un à cause d’une autre personne. Ainsi, lorsque l’on a de l’amitié pour quelqu’un, on aimera encore à cause de lui tous ceux qui sont en rapport avec lui, ses fils, ses serviteurs, ou n’importe lequel de ses proches. Et l’amitié que nous avons pour un ami peut être si grande qu’à cause de lui nous aimions ceux qui lui sont liés, même s’ils nous offensent ou nous haïssent. C’est de cette manière que notre amitié de charité s’étend même à nos ennemis : nous les aimons de charité, en référence à Dieu auquel va principalement notre amitié de charité. »
« Aimer quelqu’un et éprouver de la joie à son propos relève de la même vertu, puisque la joie suit l’amour. »
Allons donc à la rencontre des gens, à la rencontre du Réel : « Toute amitié se fonde sur une communication de vie; “Rien en effet, remarque Aristote, n’est plus propre à l’amitié que de vivre ensemble.” » Il est trop facile de n’éprouver que de la charité pour notre milieu. Où est le mérite, demande Notre-Seigneur Jésus-Christ ?
Conclusion : la charité est quelque chose de réel
« Il appartient d’agir à celui qui aime ; il veut en effet le bien de celui qu’il aime, et il le fait ; celui-ci au contraire reçoit. Et c’est pourquoi il appartient au plus excellent d’aimer. D’où il résulte que c’est au bienfaiteur d’aimer davantage. »
Il faut méditer sur notre place dans le monde. La question de l’humilité n’est pas à prendre à la légère. « Qui suis-je pour juger, qui suis-je pour comprendre ce qui se passe ? » Réfléchissons sur notre rôle de citoyen et de chrétien. L’un ne va pas sans l’autre. Quelle attitude prendre devant ces événements tragiques ? Commençons par la compassion, puis par la résolution de faire ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cela à l’avenir. Réfléchissons sérieusement à un véritable engagement politique.
« À la différence des idéologues modernes, nous ne commençons pas par percevoir la Cité comme un idéal abstrait ; il est nécessaire de partir du concret. C’est pourquoi la politique sera une science inductive. On n’attirera jamais assez l’intention sur les dangers de l’idéologie politique, même pour la bonne cause ; c’est malheureusement une tendance de l’esprit français par suite du l’influence cartésienne. On aura tendance à construire de belles idéologies politiques complètement déconnectées du réel. Emettrait-on des propositions justes et vraies, si elles ne sont pas induites, elles risquent de mener tout droit à l’idéologie.»
Jean Tollmache Pour Stageiritès
Notes
- ↑ cf. Salon Beige, Riposte catholique …
- ↑ Sermon du dimanche 15 novembre, St Nicolas du Chardonnet
- ↑ Nombreuses réactions en sortie de messe , le dimanche 15 novembre !
- ↑ 1 Corinthien 13
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 23 a. 1
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 92, a. 1, ad 3.
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 59, a. 1.
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 23 a. 1, ad. 2
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 23 a. 3, ad. 2
- ↑ Mattieu 5 : 44
- ↑ Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 26 a. 12
- ↑ Soyez saint comme je suis saint. Lévitique 20 : 26
- ↑ P. B. de Menthon, Cité par Bernard de Midelt, in Le soleil d’Aristote illumine l’Occident, AFS, tiré à part n°198, p. 10-11