Le bien ultime de l’homme qui meut en premier comme une fin ultime la volonté est double. Saint Thomas d’Aquin - De Veritate, Question 14 (La Foi), Article 2
La Vérité n’est pas un juste milieu comme la vertu. Louis de Bonald

Mise au point : intention et méthode

L’enseignement de la  « Doctrine sociale de l’Eglise »Abrégé « DSE » dans la suite du texte. est particulièrement clair pour ce qui est des rapports entre le politique et le religieux :

« Chacun d’eux, le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil, dans son ordre est souverain…Chacun d’eux est donc circonscrit dans une sphère où il peut se mouvoir et agir en vertu des droits qui lui sont propres… » Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885) : "Utraque potestas est in genere suo maxima".

« C’est donc à l’Eglise, non à l’Etat, qu’il appartient de guider les hommes vers les choses célestes, et c’est à elle que Dieu a donné le mandat de connaître et de décider de tout ce qui touche à la religion.» Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).

« Il faut admettre que l’Eglise, non moins que l’Etat, de sa nature et de plein droit, est une société parfaite Dans son livre Politique chrétienne - A l'école de saint Thomas d'Aquin, éd Le Sel du 21/11/2009, p 143, Guillaume Devillers soutient la position contradictoire. ; que les dépositaires du pouvoir ne doivent pas prétendre asservir et subjuguer l’Eglise, ni diminuer sa liberté d’action dans sa sphère, ni lui enlever n’importe lequel des droits qui lui ont été conférés par Jésus-Christ. »

Pour autant, entre ces deux puissances, la DSE ne voit pas de séparation stricte

« Il est donc nécessaire qu’il y ait entre les deux puissances un système de rapports bien ordonné. » Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).

Ce système de rapports bien ordonné peut d’ailleurs aller jusqu’au traité entre l’Eglise et l’Etat : « Des temps arrivent parfois où prévaut un autre mode d’assurer la concorde et de garantir la paix et la liberté ; c’est quand les chefs d’Etat et les Souverains Pontifes se sont mis d’accord par un traité sur quelque point particulier. » Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).

Loin de nous donc d’enseigner l’athéisme politique et le naturalisme sous quelque forme qu’il prenne.

Nécessité d’une rigueur dans l’étude de la démonstration et le maniement des citations d’autorités dogmatiques pour les problèmes liés au dogme catholique

Il est nécessaire d’avoir une authentique rigueur dans l’étude de ce point de doctrine par l’examen attentif de la démonstration et des références doctrinales proposées.

Souvent nos contradicteurs usent de citations bibliques, de Pères de l’Eglise ou même de certains conciles anciens (celui d’Orange par exemple) Plusieurs des formulations du concile d’Orange sont équivoques. Pour preuve, le contenu de la proposition 27 de Baïus condamnée par saint Pie V est matériellement identique au canon 22 du concile d’Orange. de manière très hasardeuse et sans aucune méthode. Comme on le sait, des controverses ont eu lieu dans l’Église sur les conclusions qu’il fallait tirer des textes bibliques, des écrits des Pères et des thèses des théologiens catholiques. Or ces controverses sont maintenant dirimées dans l’Église pour ce qui concerne par exemple le péché originel (son essence, sa propagation et ses suites), la grâce (distinction entre gratia naturalis et gratia supernaturalis, la nature de la grâce surnaturelle actuelle, sa nécessité et ses limites), la liberté humaine face au bien, sans que cette liste prétende d’ailleurs à l’exhaustivité. Ce qui, n’en déplaise à certain, conduit directement à la condamnation de leurs théories. Les solutions aux difficultés se trouvent en science de théologie dogmatique catholique. Pour les Pères, la règle du discernement a été énoncée une fois pour toutes par l’aquinate (et elle le vise, lui comme les autres) : « La doctrine des docteurs catholiques tient son autorité de l’Église. C’est pourquoi il faut s’en tenir à l’autorité de l’Église plus qu’à l’autorité d’Augustin, ou de Jérôme, ou de n’importe quel docteur. » Thomas d’Aquin st, ST, IIa IIae, q 10, a 12.

Pour ces anciennes controverses, aujourd’hui dirimées, on ne peut plus s’appuyer sur des textes divers, seraient-il bibliques ou des Pères. L’interprétation et la conclusion orthodoxe de ces textes est maintenant connue, elle est obligatoire.

 


Introduction : problématique et importance de la question

« On peut poser comme une loi philosophique historiquement vérifiable qu’il y a une corrélation nécessaire entre la manière dont on conçoit le rapport de l’État à l’Église, celle dont on conçoit le rapport de la philosophie à la théologie et celle dont on conçoit le rapport de la nature à la grâce. » Gilson Etienne, Dante et la philosophie, éd Vrin p 200. Cité par Denis Sureau, Pour une nouvelle théologie politique, éd Parole et silence 2008 p 32 (Les dérives politiques de cet ouvrage de D. Sureau, favorable à la thèse lubacienne, démontre abondamment ce qu’avance E. Gilson).

Et comme l’agir est conditionné par l’Etre, et que l’être humain est dépendant de son intellection de la réalité, une mauvaise analyse de cette dernière conduira à l’errance pratique, notamment dans le domaine politique.

 


Première partie : Ordre et finalité

La notion d’ordre

« L’ordre que nous constatons dans le monde (et que le désordre partiel ne supprime pas mais implique) n’est pas juxtaposé aux choses d’une façon extérieure : il leur est immanent, il fait corps avec leur nature même, il est celle-ci en tant qu’ordonnée » Connaître la pensée de Saint Thomas d’Aquin, Louis Jugnet, Ulysse,1979, p.153.

Il convient d’abord de définir le mot ordre. L’ordre est l’unité du multiple (R. Jolivet). Ce mot désigne un ensemble cohérent, organisé, soumis à des règles, régi par des lois (I. Mourral-L. Millet). L’ordre est une cohérence quelconque (aux yeux de l’esprit) fondée sur un rapport quantitatif, qualitatif, mécanique ou téléologique Téléologique : en rapport à une finalité (intentionnelle pour ce qui est de la cause efficiente). (A. Lalande).

Thomas d’Aquin définit l’ordre : « Il faut dire qu’à partir de n’importe quelle cause dérive un ordre dans ses effets : puisque n’importe quelle cause a raison de principe. » Thomas d’Aquin st, ST, Ia, q 105, a 6.

Ce qui signifie que tout être causé, est intégré à un ordre. Cet ordre sera achevé dans l’obtention de sa finalité.

La notion de finalité

Tous les êtres créés son causés par Dieu en vue d’une finalité. L’homme et la société politique sont deux être créées par Dieu et sont donc par là-même, eux aussi doués d’ordre et de finalité.

 

  • L’expérience nous révèle l’existence des causes finales Voir par exemple, H.Collin, Manuel de philosophie thomiste, Ontologie, n°110.

De manière interne, c’est notre conscience qui nous manifeste que tous nos actes sont motivés par une finalité conçue dans l’intelligence. : Une finalité subjective d’intention. Exemple : nous écrivons pour répondre à une lettre, nous ouvrons la porte pour sortir, nous faisons de la philosophie pour étudier ensuite la Science Politique, nous étudions pour ensuite poser des actes prudents…

L’expérience externe découvre que les êtres sont faits pour quelque chose, donc qu’ils ont une cause finale. Et si on ne connait pas la finalité de tous les êtres (notamment des faits accidentels, exemple : une tache d’encre…) il n’en demeure pas moins que la finalité est immanente à tout le Réel. Finalité en tant que conçue dans une intelligence d’abord, puis réalisée ensuite.

L’homme manifeste dans tous ses actes une finalité d’abord conçues dans son intention. Cela se montre puisque par l’observation d’un acte (finis operis) nous sommes capables de découvrir le motif de cet acte (finis operantis).

Les animaux manifestent une finalité admirable dans l’organisation de leur « règne » (biotope, chaine alimentaire…) ; et également dans leurs œuvres adaptées à la survie et à l’épanouissement de l’espèce. Plus rationnellement : le Tout à conserver détermine la structure, l’ordre et la fonction des Parties.

Enfin, les êtres inanimés eux-mêmes dès qu’ils agissent manifestent de la finalité, car leur activité est orientée de manière constante vers le même effet. Exemple : le soleil chauffant la molécule d’eau produit la vapeur d’eau puis les nuages etc.

 

  • Le principe de finalité

Si l’être possède une cause efficiente, l’être possède nécessairement une cause finale. Toute action d’une cause efficiente quelconque est déterminée, (existe afin d’atteindre son terme) : la cause finale. Sans ce terme, il n’y aurait pas de but ni de fin à l’action, et donc il n’y aurait pas d’action du tout, la cause efficiente n’agirait pas… et ne serait pas cause. Tout agent agit pour une fin.

 

  • Finalité intrinsèque et finalité extrinsèque

Il existe en sus de ces considérations deux genres de finalité :

  • La finalité intrinsèque qui est une cause qui agit du dedans de l’être.
  • La finalité extrinsèque qui est une cause qui agit du dehors de l’être.

Exemple : le sculpteur façonnant la statue d’un saint. La finalité intrinsèque de la matière utilisée en fonction de la forme donnée à celle-ci par le sculpteur sera d’être une statue de saint. La finalité extrinsèque sera de servir à la dévotion des fidèles.

 

  • Lien entre Bien et Finalité

Pour l’être doué de finalité, sa fin ultime est son bien ultime, en effet c’est en raison de cette fin ultime que l’être produit tous ses actes propres. L’homme ne fait que rechercher sa fin en agissant et ce qu’il fait il le fera en vue d’un bien qu’il poursuit volontairement. « Une chose procède de sa fin selon son être tour entier, et c’est dans la fin que consiste la raison de bien ». Thomas d’Aquin st, De Ver, q 21, a 1, ad 4.

Ordre des fins et subordination

Un ordre peut contenir un enchaînement de causes finales intermédiaires en vue d’une cause finale ultime. L’ordre lui-même ne possède en effet qu’une seule cause finale réellement ultime. C’est la raison même de l’ordre en tant qu’ordre. Dans un ordre donné il peut encore y avoir plusieurs successions d’ordres inférieurs dépendant d’un unique ordre général. En fait il n’y a plus dans ce cas qu’un seul et unique ordre. Puisqu’il n’y a qu’une seule et unique finalité ultime.

Exemple : “ Dans la société, l’agent individuel qui poursuit son bien propre est subordonné à l’autorité civile qui poursuit le bien commun de la Cité ((Thomas d’Aquin st, ST, Ia, Qu. 105. La mutation des créatures par Dieu.

4 [32820] (…) Ainsi, dans les affaires humaines, il appartient au chef d’orienter la multitude vers le bien commun.

6 [32836] (…) Nous en avons un exemple dans les affaires humaines : car c’est du père de famille que dépend l’ordre de la maison, et celui-ci est contenu sous l’ordre de la cité, qui procède de son chef, tout comme l’ordre de la cité est contenu sous l’ordre du roi qui préside à l’organisation de tout le royaume. )), et cette autorité est nécessairement subordonnée à Dieu qui ordonne toute chose à la fin suprême de l’univers, c’est-à-dire à la manifestation de sa bonté.” Garrigou-Lagrange Réginald, Le réalisme du principe de finalité, éd ESR, p 151.

C’est cela que l’on appelle la subordination de fins intermédiaires par rapport à une fin ultime.

Exemple pratique : le Forgeron médiéval.

La fin du travail du forgeron est de concevoir de bonnes épées. La fin des bonnes épées est de permettre aux chevaliers de se battre correctement, la fin du combat du chevalier est de défendre militairement la Cité, la défense de la Cité à pour fin le Bien Commun de la Cité et par là la gloire de Dieu créateur des natures.

Donc la fin ultime du forgeron est de procurer le Bien Commun et de rendre gloire à Dieu. En aucun cas la fin ultime du forgeron n’est le salut des âmes par exemple, élément constitutif d’un autre ordre : l’ordre surnaturel. En aucun cas la fin ultime du forgeron, en tant que forgeron, n’est le salut des âmes…

 


Deuxième partie : la notion de nature

La notion de nature : l’ordre auquel appartient un être est fonction de sa nature

Utiliser le mot « surnaturel » entraine nécessairement une question quant à la notion de « nature ».

La nature c’est l’essence en acte. La nature d’une chose est cette chose elle-même (l’essence) en tant que principe de ses opérations. En effet tout être est constitué d’essence et d’existence. L’essence est la quiddité de la chose et l’existence est cette quiddité réalisée dans la Réalité concrète. Exemple : un personnage de roman n’existe pas, mais j’en conçois bien une sorte d’être dans mon esprit : c’est son essence. Par contre tel homme que je connais est un être que je conçois (essence) mais qui  de plus, existe bel et bien (existence). Ainsi la nature en acte est l’essence en tant que principe d’activité dans la réalité concrète de son existence.

La nature est ce qui fait que l’essence de l’être est telle essence et non pas telle autre. Par exemple qu’un cheval n’est pas une tulipe, ou encore qu’un homme n’est pas un singe. Ajouté à cela, la nature est l’essence sous l’angle de la raison d’être (et la raison intelligible) de cet être : dans sa cause finale.

Par la connaissance des quatre causes, nous savons que les causes intrinsèques (constitutives) de l’être sont la cause matérielle et la cause formelle.

Ainsi la nature est matière et surtout forme.

Par la connaissance de la relation des causes, nous savons que la cause formelle est spécifique de la cause finale, et donc que la nature entière en tant que forme dans une matière est faite pour une fin spécifique à la forme. Un potier donne à l’argile la forme d’un vase pour pouvoir exposer des fleurs, la forme contient la raison de la fin.

Concrètement cela signifie que l’homme fut créé par Dieu possédant telle nature humaine en vue de telle fin spécifique. Cette fin est donc dite une FIN NATURELLE.

L’exigence de nature

On ne peut concevoir la nature sans admettre le concept d’exigence de nature. Entendant par-là que telle nature exige telle fin. Il existe donc en vertu des quatre causes, loi universelle et constitutive de toute la réalité, un dû ontologique de la nature : tout ce qui est naturel à une nature, est dû à cette même nature.

« Quant à la créature, il lui est dû d’avoir ce qui est ordonné à elle, comme à l’homme d’avoir des mains… et ici encore Dieu accomplit la justice, quand il donne à chacun selon ce qui lui est dû selon ce que comporte sa nature. » Saint Thomas d’Aquin, ST, Ia, Q 21, a1, ad 3.

Donc, en tant que créature naturelle, l’homme possède en toute rigueur une fin ultime naturelle.

Si l’homme ne possédait pas de finalité ultime naturelle, ou Dieu n’accomplirait pas la justice, ou Dieu n’aurait pas créé l’homme par défaut d’efficience. Dans les deux cas la nature humaine serait inintelligible et absurde.

Cette fin ultime naturelle est désirée comme son bien propre par la nature qui développe envers ce bien-fin un appétit naturel, une ordination positive. De fait cette fin ultime naturelle doit être atteignable par les seules forces de la nature, en sens inverse dans l’hypothèse où la fin ultime serait inatteignable, nous serions en présence d’un mal ontologique, c’est-à-dire d’un néant d’être, et de fait d’un non-être, la nature humaine n’étant pas pleinement constituée par absence de cause finale (ce qui serait dire de Dieu qu’il fait le mal…). Ce qui est absurde.

« Prétendre que des fins essentielles et obligatoires sont en soi impossibles est une contradiction dans les termes : si elles sont essentielles à la nature, elles doivent pouvoir être atteintes par la nature, elles sont dues à la nature, elles sont normales et possibles. » Pedro Descoqs SJ, le mystère de notre élévation surnaturelle, Beauschesne, 1932, p.119, cité in « peut-il exister une politique chrétienne, Bernard de Midelt, 2011, p.44. (Pedro Descoqs fut lourdement combattu par Lubac et ses amis notamment dans l’ouvrage Surnaturel).

L’on ne peut concevoir une nature sans la finalité qui lui corresponde, et sans que cette nature ne possède en elle-même les puissances actives de cette réalisation. Il s’ensuit donc que l’homme, et par là-même la Société Politique, possèdent cette puissance active naturelle et le moyen d’atteindre sa fin naturelle SANS UN NECESSAIRE SECOURS SURNATUREL. De la même manière Saint Thomas explique l’existence nécessaire de l’intellect agent vis-à-vis de l’intellect passif. Car pour penser en acte, l’intellect passif nécessite une fonction actualisatrice de par sa nature d’intellect.

La nature de l’homme exige une fin ultime naturelle atteignable par les seules puissances de la nature. Et comme « Il est dans la nature de l’homme d’être un animal social et politique » Saint Thomas d’Aquin, De Regno, ch. I, l. 20-21.,

Il s’ensuit que cette fin ultime n’est atteignable que dans le Politique. « Dans » et  non « par », le bien commun, fin de la société politique, n’est pas un moyen pour le bien particulier.

 


Troisième Partie : deux ordres, un ordre naturel et un ordre surnaturel, donc deux finalités ultimes distinctes

La finalité ultime naturelle, intrinsèque à l’ordre naturel, et la finalité ultime surnaturelle,  intrinsèque à l’ordre surnaturel

« Saint Thomas distingue souvent la fin ultime naturelle de la fin ultime surnaturelle » R.P. Garrigou-Lagrange, la synthèse thomiste, dans l’appendice, « la nouvelle théologie, où va-t-elle ? », cité in « peut-il exister une politique chrétienne, Bernard de Midelt, 2011, p.38.

L’homme possède une fin ultime surnaturelle intrinsèque à l’ordre surnaturel, comme nous l’apprend la Foi Catholique,  celle-ci est par définition la finalité ultime d’un autre ordre que l’ordre naturel, haut-dessus de la nature et donc en-dehors de l’ordre naturel, et n’a pas de connexion directe, ni de cause active, ni n’est exigée, par et dans la nature humaine. D’ailleurs, SUR-naturel ne se définit que par l’existence de la Nature.

« L’ordre naturel n’est pas surnaturel mais il est divin » Bernard de Midelt, Peut-il exister une politique chrétienne ?, diffusion AFS, 2011, p. 34.,

« Il y a un ordre divin naturel et un autre surnaturel » Julio Meinvielle, Conception catholique de la politique, 1932, Edition Iris 2009, p25, cité in Bernard de Midelt, Peut-il exister une politique chrétienne ?, diffusion AFS, 2011, p. 34.

Thomas d’Aquin sur ce point :

« Or la fin vers laquelle Dieu oriente ses créatures est double. L’une dépasse la mesure et le pouvoir de la nature créé, et cette fin est la vie éternelle, qui consiste en la vision divine, activité qui dépasse la nature de tout être créé, ainsi qu’on l’a établi plus haut. L’autre fin est une fin proportionnée à la nature créée, de telle sorte que la créature puisse y atteindre par les ressources de sa nature. » Thomas d’Aquin st, ST Ia Q 23, a 1.

« Il y a deux sortes de félicité : l’une est proportionné à la nature humaine, et l’homme peut y parvenir par les principes de son être ; l’autre dépasse la nature humaine, et l’homme ne peut l’atteindre que par une certaine participation de la Divinité, conformément à cette parole, II Pier, I 4 : Par Jésus-Christ, nous sommes devenus participants de la nature divine. Et comme cette béatitude dépasse la proportion de la nature, l’homme ne peut la conquérir par les principes naturels qui suffisent pour produire des œuvres bonnes dans sa sphère ; il faut donc que Dieu lui donne certains principes pour le mettre en rapport avec la béatitude supérieure, de même que les principes de sa nature, secondée par l’assistance divine, le mettent en rapport avec sa fin naturelle. » Thomas d’Aquin st, ST Ia IIae, Q 62 a 1.

Pour ce qui concerne la finalité absolument ultime de l’homme, cette finalité est double : une double finalité absolument ultime, naturelle et surnaturelle

L’homme possède donc une double finalité absolument ultime. (Et non pas deux finalités ultimes ce qui est impossible puisque par définition une finalité absolument ultime est unique)

Il convient de veiller à la précision du vocabulaire :

  • en précisant absolument ultime ;
  • en précisant une finalité mais double.

Certains en prennent à leur aise avec le texte de Thomas d’Aquin de De Veritate, q 14. Ils lisent une “double finalité”, autrement dit deux finalités, où saint Thomas parle d’une seule finalité, quoique double. En effet une finalité double, c’est du grand classique en thomisme : « Aristote résout la première question par une distinction fort importante qui a été reprise par les scolastiques et qui est d’usage courant en théologie. On ne doit pas dire qu’il y a deux causes finales, […], mais que la cause finale comporte en elle-même une double modalité. M-L Guérard op , Dimensions de la Foi, éd Cerf 1952, t 2 p 226.»

L’information donnée par De Veritate n’est donc pas qu’une finalité puisse être double, car, cela, les thomistes le savent déjà ; le texte donne en fait une précision fondamentale quant à l’être humain.

Dans un premier temps Thomas d’Aquin affirme qu’il parle ici de la finalité absolument ultime de l’homme et, dans un deuxième temps, l’Aquinate nous dit que cette unique finalité absolument ultime est à la fois naturelle et surnaturelle.

Tandis que pour certains, la finalité absolument ultime de l’homme ne serait que surnaturelle.

Pour que le lecteur puisse juger sur pièce, voici le texte de De Veritate, q 14 :

« Or le bien ultime de l’homme, qui meut en premier comme une fin ultime la volonté, est double. L’un d’eux est proportionné à la nature humaine, car les puissances naturelles suffisent pour l’obtenir ; et ce bien est la félicité dont les philosophes ont parlé ; soit la contemplative, qui consiste dans l’acte de la sagesse ; soit l’active, qui consiste d’abord dans l’acte de la prudence, et conséquemment dans les actes des autres vertus morales. De l'avis de nombreux théologiens il s'agit d'une connaissance de Dieu d'ordre naturel. Jean de Saint-Thomas écrit : "contemplatio Dei per suos effectus" (la contemplation de Dieu par ses effets) in Cursus theologicus, t 2, disputatio 12, a 3, n 23. Le p Th. Deman précise : « Prenons garde dès ici qu’en agréant comme béatitude, fut-ce imparfaite, la connaissance humaine de Dieu, notre docteur fait de cette opération une fin, et à laquelle la nature intellectuelle chez l’homme est ordonnée. Elle n’est ni moyen ni terme provisoire : elle est fin, quoiqu’imparfaite. » (Deman Th., H. de Lubac, Surnaturel, Bulletin Thomiste, VII 1950, pp 422-446)

L’autre est le bien de l’homme qui dépasse la mesure de la nature humaine, car les puissances naturelles ne suffisent pas pour l’obtenir, ni même pour le connaître ou le désirer, mais il est promis à l’homme par la seule libéralité divine ; 1 Cor. 2, 9 : « L’œil na point vu, etc. », et ce bien est la vie éternelle. » Thomas d’Aquin st, De Veritate, Question 14 (La Foi), Article 2.

Appendice : la question du bien commun et du bien particulier

La notion de bien commun implique, pour être comprise, une juste connaissance du principe aristotélico-thomiste : « Plus général (communius ie commune au comparatif) est un bien, plus il est divin Praeterea, quanto aliquod bonum est communius, tanto divinius, ut patet in 1 Ethic. Aristote, Ethique, Préambules, [1094, b 10]. Thomas d’Aquin, In Pol., I, I, n 11. On pourrait dire équivalemment : « Plus générale est une finalité, car le bien dont on parle ici est un bien-fin, plus elle est divine (ou meilleure elle est) ». »

Thomas d’Aquin réfute une interprétation moderne erronée du principe provenant d’une fausse traduction de commune sous l’influence du personnalisme maritainien :

« On dit que quelque chose est commun de deux manières. D’une manière, par prédication : mais alors ce qui est commun à plusieurs choses n’est pas un selon le nombre ; c’est en ce sens qu’un bien corporel est commun. D’une autre manière, quelque chose est commun par participation à une seule et même chose en nombre… Thomas d’Aquin st, Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3». Et c’est donc en ce deuxième sens que le bien de la Cité est commun, à savoir par participation.

Un bien commun, où “commun” est entendu au sens trivial en français, est donc selon Thomas d’Aquin un “bien commun par prédication”, et comme le dit Charles De Koninck pas du tout un bien au sens propre.

Sur la question annexe au sujet quoique de toute aussi grande importance de la primauté du bien commun sur le bien particulier, nous renvoyons nos lecteurs à l’ouvrage de Charles de Koninck bien connu, mais si peu lu : La primauté du bien commun contre les personnalistes, tome II, volume 2, éditions PUL 2011, notamment p.146 et suivantes, p.235 et p.334.

Pour atteindre son bien propre la personne doit s’ordonner au bien commun politique :

« Il est très vrai qu’en face du bien commun la personne peut le dire mien, mais il n’est pas pour cela approprié à la personne singulière comme bien singulier. Le bien qu’elle dit mien n’est pas pour elle prise comme fin. S’il était tel, le bien qu’est la personne elle-même serait la fin pour laquelle il est voulu. » De Koninck Charles, Œuvres - La primauté du bien commun, tome II, volume 2, éditions PUL 2011, p 278. Cf. également pp 242 et 243.

Charles De Koninck a écrit son livre « en vue de dissiper cette idée fausse selon laquelle le bien commun est un bien étranger, c’est-à-dire soit un bien personnel à notre prochain, soit la somme totale des biens propres.» Ibidem, p 336

Définition de cette double finalité :

  • La finalité absolument ultime naturelle de l’homme dans la société politique

La finalité ultime naturelle de l’homme dans la société politique exigée par sa nature est de manière intrinsèque le Bien Commun de la société politique et de manière extrinsèque la glorification de Dieu par l’harmonieuse réalisation des plans divins du Créateur sur sa création.

 

  • La finalité absolument ultime surnaturelle de l’homme dans la société religieuse (l’Eglise)

La finalité ultime surnaturelle de l’homme dans la société religieuse, offerte à l’homme par la libéralité divine est de manière intrinsèque le Bien Commun de l’Eglise (qui est le saint sacrifice de la Messe Thomas d’Aquin st, ST III, q65, a 3, ad 1 : a.3 La hiérarchie des sacrements […] : « Le bien commun spirituel de l’Eglise réside substantiellement dans le sacrement de l’eucharistie lui-même. ». Où l’on pèse un peu mieux l’importance extrême de conserver la messe de toujours. Et le sophisme qui voudrait nous faire croire qu’il faille être en « accord pratique » avec Rome pour le bien commun de l’Eglise…) et de manière extrinsèque la gloire de Dieu se communiquant gratuitement Lui-même par amour pour Sa créature.

 

  • La finalité absolument ultime de la société politique (réalité uniquement naturelle)

La finalité ultime naturelle de la société politique est de procurer efficacement le Bien Commun naturel Rappelons-le, le bien commun est participé et non pas prédiqué (comme un accident de la substance). Il fait corps avec le citoyen comme l’ordre naturel fait corps avec la nature., et de manière extrinsèque, la gloire de Dieu créateur des natures.

 

  • La finalité absolument ultime de la société religieuse (l’Eglise : réalité surnaturelle, le corps mystique de Notre-Seigneur Jésus Christ)

La finalité ultime surnaturelle de la société Religieuse est de procurer le Bien Commun surnaturel (la sainte messe) et la gloire de Dieu Trinité.

 


Quatrième partie : hérésie du surnaturalisme

Définition du surnaturalisme

Le surnaturalisme est la désignation triviale que l’on peut réserver à cette conception mono-physiste  d’un unique ordre naturel-surnaturel. Ce terme de mono-physisme appliqué au surnaturalisme est emprunté à Serge-Thomas Bonino op : « cette tendance quelque peu monophysite à résorber la nature dans la grâce Serge-Thomas Bonino op, Faut-il une « philosophie thomiste »?, Nova et Vetera, n° 1, janvier-mars 2011. ».

Monophysisme naturalo-surnaturel : étymologiquement, le terme de monophysisme peut servir à désigner toute doctrine qui ne reconnait dans le Verbe incarné qu’une seule nature φυσις, après l’union de l’humanité et de la divinité (M. Jugie, DTC, Eutychès, p. 14). Le monophysisme (du grec μονο, mono, « une seule », et φυσις, füsis, « nature ») est une doctrine christologique apparue au Ve siècle dans l’Empire byzantin en réaction au nestorianisme. Elle affirme que le Fils n’a qu’une seule nature et qu’elle est divine, cette dernière ayant absorbé sa nature humaine. Nous utilisons ici monophysisme par analogie avec le monophysisme historique. Nous dénonçons, par ce terme, le mélange théandrique des deux ordres, conduisant à un seul ordre naturel-surnaturel. Prétendant “distinguer” deux ordres, les partisans monophysistes ne font que les entrapercevoir. Ils ne croient donc pas à leur réalité (Cf. M-L Guérard, Dimensions de la foi, éd Cerf 1952) et, par suite, ne voient pas la solution de continuité qui les sépare.

Erreur du surnaturalisme : subordonner l’ordre naturel à l’ordre surnaturel

Affirmer que la fin ultime naturelle, intrinsèque à l’ordre naturel, simple fin infravalente, doit être subordonnée à la fin ultime surnaturelle, intrinsèque à l’ordre surnaturel, c’est nier l’existence de deux ordres distincts qui ne se distinguent précisément que par une différence de finalité. Ceux qui admettent dans la nature humaine, au regard de l’ordre surnaturel, non pas seulement une capacité et une convenance mais une vraie et rigoureuse exigence, saint Pie X les a nommés “modernistes”.

Les propositions suivantes vont donc à l’encontre de la distinction traditionnelle :

« Rien, en tout cas, n’annonce chez lui (ie Thomas d’Aquin)  la distinction que forgeront plus tard un certain nombre de théologiens thomistes, entre “Dieu auteur de l’ordre naturel” et “Dieu auteur de l’ordre surnaturel”… » H. de Lubac, Surnaturel – Etudes historiques, éd Aubier 1946, p.254.

« Pour Saint Thomas, le bien commun ultime de la cité est surnaturel, théologal – la « fruition de Dieu » - ce qui relativise fortement la fin du « vivre ensemble envisagé sous l’angle purement naturel. » Denis Sureau, Communautarisme catho et théologie politique, Présent du 04/08/2007.

« L’élévation de l’homme à l’ordre surnaturel n’a pas modifié la nature mais l’a subordonnée à une fin plus haute, la vie éternelle, dont le ministère a été confié à l’Eglise. Or ceci entraine une double conséquence quant au pouvoir politique. Premièrement sa fin n’est plus le bonheur temporel, mais la vie éternelle, qui nous a été acquise par le sang très précieux de Jésus-Christ. » A. Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de saint Thomas d’Aquin, éd Le Sel (21/11/2009), p 142.

« Il n’y a pas deux fins ultimes, il n’y en a qu’une et elle est surnaturelle » Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de Saint Thomas d’Aquin, Édition Le Sel, p 143 .

« Les fins ultimes naturelles et surnaturelles ne se tiennent pas comme deux fins totales et adéquates, car en vérité il n’y a qu’une fin ultime, la fin surnaturelle, à laquelle la fin naturelle est subordonnée et à cette égard n’est plus ultime » Abbé Benoit de Jorna, L’Eglise lumière de la Cité, in Vu de Haut n°14, p18, 2008.

« La fin ultime de l’homme est unique, c’est la vie éternelle » Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne ou politique « séparée », in Courrier de Rome Janvier 2013.

Les tenants de cette théorie affirment donc qu’il n’y a qu’un seul est unique ordre naturel-surnaturel qui est en réalité surnaturel puisqu’il n’y a qu’une unique fin ultime surnaturelle. Ils affirment par-là même que l’homme, et donc la société politique, possèdent une exigence naturelle de surnature.

C’est une hérésie niant la gratuité du salut

« Jusqu’à présent nous avons raisonné comme s’il était évident que pour Saint Thomas il y avait deux finalités de l’être humain, l’une naturelle et portant sur un terme ultime exigible en rigueur, l’autre surnaturelle et gratuite. Telle est d’ailleurs bien notre manière de voir, et, n’en déplaise à certains auteurs contemporains, dont la position vient de recevoir du renfort, nous sommes persuadés, non seulement que telle est bien la position exigée par l’orthodoxie catholique, mais encore que saint Thomas, historiquement parlant, l’a fermement soutenu. (…) toute concession sur ce point nous semble faire de saint Thomas un augustinien. » L. Jugnet, Con. pens. St. Th. Chap I, p.33.

Condamnation de l’exigence de surnature par les papes Saint Pie X et Pie XII

Condamnation par Saint Pie X : « Nous ne pouvons-nous empêcher de déplorer, une fois encore et très vivement, qu’il se rencontre des catholiques qui, répudiant l’immanence comme doctrine, l’emploient néanmoins comme méthode d’apologétique ; qui le font, disons-Nous, avec si peu de retenue qu’ils paraissent admettre dans la nature humaine, au regard de l’ordre surnaturel, non pas seulement une capacité et une convenance, … mais une vraie et rigoureuse exigence » Pie X, Pascendi, 1907.

Le pape saint Pie X marque donc les tenants de cette doctrine : l’homme « n’a pas deux fins ultimes, il n’en a qu’une et elle est surnaturelle » Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de Saint Thomas d’Aquin, Édition Le Sel, p 143 comme étant modernistes…

Condamnation par Pie XII : « Ils déforment la vraie notion de gratuité C'est-à-dire la non-exigence de la nature. de l’ordre surnaturel, quand ils prétendent que Dieu ne peut créer des êtres doués d’intelligence sans les ordonner et les appeler à la vision béatifique. » Pie XII, Humani Generis, 1950.

 


Conclusion

Une double finalité absolument ultime pour l’homme, naturelle et surnaturelle ; et une finalité naturelle pour l’Etat tandis que l’Eglise possède une finalité surnaturelle, c’est donc exprimer que l’Eglise et l’Etat sont deux sociétés parfaites qu’il convient de coordonner.

Coordonner : Lorsque plusieurs causes sont subordonnées à une seule et même cause, une approche fréquente consiste à croire que toutes ces causes sont forcément subordonnées entre elles. Cette conclusion est erronée : en effet l’expérience courante montre que la plupart du temps ces causes sont simplement coordonnées entre elles.

La confusion entre causes coordonnées et causes subordonnées est responsable de graves malentendus. A titre d’exemple, dans tous les pays du monde on distingue et on considère comme séparées l’armée de terre et l’armée de l’air. Ces deux armées sont subordonnées à un seul chef et coordonnées entre elles. Pour autant, l’armée de terre n’est pas subordonnée à l’aviation.

Pour en revenir à la société politique, rappelons qu’une société parfaite est une société qui possède en elle-même les puissances actives pour obtenir sa fin.

« Il y a deux sortes de sociétés parfaites : l’une politique d’ordre naturel, et l’autre ecclésiastique d’ordre surnaturelle ; l’homme a besoin des deux pour atteindre sa fin ultime. De la société politique pour atteindre sa finalité ultime naturelle ; de la société ecclésiastique pour atteindre sa fin ultime surnaturelle » Santiago Ramirez, Peuples et gouvernants au service du bien commun, conférence du 23 au 27 octobre 1951 à l’Institutio social Leon XIII de Madrid.

« Il faut admettre que l’Eglise, non moins que l’Etat, de sa nature et de plein droit, est une société parfaite » Léon XIII, Immortale Dei (01/11/1885).

Il n’y a donc AUCUNE subordination du Politique au Religieux révélé, ni par conséquent AUCUNE subordination de l’Etat à l’Eglise. Pour ce qui concerne la science politique, les authentiques thomistes se sont élevés contre la théorie fidéiste de J. Maritain qui voulait subalterner cette science pratique de la Cité à la théologie

 


Annexe 1 - La contemplation naturelle de Dieu par-delà la mort

Les enfants morts sans baptême

Cette thèse n’est pas adventice chez saint Thomas : on la retrouve dans son étude de la béatitude naturelle chez les enfants morts sans baptême. Nous voulons simplement montrer par-là que saint Thomas est cohérent avec lui-même, et non pas entamer un débat sur ce sujet. C’est en tout cas ce qu’affirme le p A. Gauthier et d’autres thomistes :

« Saint Thomas accorde expressément aux âmes des enfants morts sans baptême la plénitude de la connaissance naturelle ; pour nier que cette connaissance soit la béatitude éternelle, il faudrait premièrement oublier que pour saint Thomas la béatitude consiste dans la connaissance, et deuxièmement oublier qu’une connaissance parfaite s’accompagne nécessairement pour saint Thomas de joie ; il est donc hors de doute que la « participatio naturalium bonorum » que saint Thomas accorde ici aux enfants morts sans baptême est une béatitude naturelle et qu’elle est pleine de joie, comme saint Thomas le disait dans le texte des Sentences : [6403] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 :

« Pour la cinquième point, il faut dire, que si les enfants ne sont pas baptisés, ils sont séparés de Dieu en ce qui concerne la conjonction qui est par la gloire ; cependant, ils ne sont pas absolument séparés de Lui, bien plutôt ils sont joints à Lui par le biais de la participation des biens naturels ; et donc, aussi, ils seront en mesure de se réjouir de Lui par la connaissance naturelle et l’amour. » A. Gauthier op, Introduction au Contra Gentiles de Thomas d’Aquin, éd Lethielleux 1961 p 115.

Le p P. Descoqs, un des premiers au XXème siècle, avait vu l’importance de la double finalité ultime : « Est-il absurde de concevoir une vision réelle de Dieu, auteur de la nature, qui ne le révèlerait pas selon ses perfection intimes de l’ordre surnaturel transcendant, mais qui, tout en demeurant d’une certaine manière proportionnée à notre nature, serait cependant immédiate Initialement le p. Descoqs a écrit « intuitive ». Mais il a corrigé cet adjectif par la suite dans la Nouvelle revue théologique » (1939). et dépasserait la voie des concepts abstraits ou des espèces infuses ? » Descoqs Pedro sj, Le mystère de notre élévation surnaturelle, éd Beauchesne 1937, 136 pages, p 126.

Dans deux longs articles de la Revue thomiste (équivalent à un fort volume) le P. M-R Gagnebet, s’appuyant sur de très nombreux textes de l’Aquinate, enseigne (contre de Lubac ) :

D’après saint Thomas l’homme de l’ordre naturel peut faire preuve d’un véritable amour naturel de Dieu, un amour explicite, délibéré, persistant après la mort. « Le terme ultime vers lequel tend notre activité spirituelle même naturelle ne se trouve pas ici-bas. Gagnebet M-R op, L’amour naturel de Dieu chez saint Thomas et ses contemporains, Revue thomiste 1948-III et 1959 I-II, 1959 p 68 qui cite De An, a 16 et 17. » précise-t-il.

« L’ordre naturel est la disposition des différentes natures créées, en tant qu’elles viennent de Dieu comme de leur cause productrice et sont ordonnées vers Dieu, comme vers leur cause finale, sans que l’action de Dieu ajoute quoi que ce soit aux strictes exigences de ces natures. » (Article Surnaturel du Dictionnaire de Théologie Catholique DTC, p 2853) Autre définition : L’ordre naturel est l’ordre où Dieu donne à chaque nature son être et son action propre, et les conserve. Comme on le voit les mots droit et loi n’apparaissent pas dans ces définitions. Parler d’ordre naturel ne se ramène donc  pas à parler de droit naturel ou de loi naturelle..

 


Annexe 2 - Nature humaine avant et après la chute

Par rapport aux deux ordres naturel et surnaturel

Dans un tel domaine il faut bien se garder de vouloir réinventer la théologie catholique par souci “fondamentaliste”. Soyons sans honte doctus cum libro, le livre étant en l’occurrence ici le Précis de théologie dogmatique de Mgr Bernard Bartmann. Mgr Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, éd Salvador/Casterman, Tome I, Livre II, Deuxième section, ch II L’humanité. Cf. pp 319 et sq. Rappelons que ce précis était l’ouvrage de base en théologie dogmatique du Séminaire français de Rome avant la révolution moderniste. A noter que le Séminaire d’Écône de la FSSPX tendrait à être l’héritier doctrinal du Séminaire français de Rome.

Thomas d’Aquin st, Contra Gentiles, IV, 52.

« Il est clair, maintenant, que le vice d’origine, d’où sort le péché originel, vient de l’absence d’un principe, de l’absence du don gratuit conféré à la nature humaine, dès sa création. En fait, ce don était d’une certaine manière naturel, non point qu’il eût pour cause les principes de la nature, mais parce qu’il avait été conféré au premier homme pour être transmis en même temps que la nature. »

« Le péché en effet ne détruit pas le bien de nature qui est partie intégrante de la nature ; ce que le péché du premier homme a pu détruire, c’est un bien de nature surajouté par grâce. »

Contre les pseudo-augustiniens et les protestants

Il faut tenir avec saint Thomas d’Aquin et les théologiens du Concile de Trente que « l’homme n’a perdu par le péché originel ni sa liberté ni aucune autre partie essentielle de sa nature ».

« On explique donc, ici encore, la blessure non comme une blessure proprement dite et absolue, mais comme une blessure relative : ce n’est pas en elle-même que la nature est blessée mais par rapport à l’état idéal du paradis terrestre (naturalia manserunt post peccatum integra « La nature restée intacte après la chute ».). D’après une comparaison célèbre de Bellarmin, il n’y a d’autre différence entre l’état de nature tombée et l’état de nature pure que celle qui existe entre un homme à qui l’on a enlevé ses habits et un homme simplement nu. » (p. 337)

« Par rapport à son état surnaturel antérieur, Adam a été changé en plus mal, mais non en lui-même, dans son état naturel. » (p. 336)

 

Thomas Audet Pour Stageiritès



Notes

  1. Abrégé « DSE » dans la suite du texte.
  2. Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885) : "Utraque potestas est in genere suo maxima".
  3. Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).
  4. Dans son livre Politique chrétienne - A l'école de saint Thomas d'Aquin, éd Le Sel du 21/11/2009, p 143, Guillaume Devillers soutient la position contradictoire.
  5. Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).
  6. Léon XIII, Immortale Dei (01 11 1885).
  7. Plusieurs des formulations du concile d’Orange sont équivoques. Pour preuve, le contenu de la proposition 27 de Baïus condamnée par saint Pie V est matériellement identique au canon 22 du concile d’Orange.
  8. Les solutions aux difficultés se trouvent en science de théologie dogmatique catholique. Pour les Pères, la règle du discernement a été énoncée une fois pour toutes par l’aquinate (et elle le vise, lui comme les autres) : « La doctrine des docteurs catholiques tient son autorité de l’Église. C’est pourquoi il faut s’en tenir à l’autorité de l’Église plus qu’à l’autorité d’Augustin, ou de Jérôme, ou de n’importe quel docteur. » Thomas d’Aquin st, ST, IIa IIae, q 10, a 12.
  9. Gilson Etienne, Dante et la philosophie, éd Vrin p 200. Cité par Denis Sureau, Pour une nouvelle théologie politique, éd Parole et silence 2008 p 32 (Les dérives politiques de cet ouvrage de D. Sureau, favorable à la thèse lubacienne, démontre abondamment ce qu’avance E. Gilson).
  10. Connaître la pensée de Saint Thomas d’Aquin, Louis Jugnet, Ulysse,1979, p.153.
  11. Téléologique : en rapport à une finalité (intentionnelle pour ce qui est de la cause efficiente).
  12. Thomas d’Aquin st, ST, Ia, q 105, a 6.
  13. Voir par exemple, H.Collin, Manuel de philosophie thomiste, Ontologie, n°110.
  14. Thomas d’Aquin st, De Ver, q 21, a 1, ad 4.
  15. Garrigou-Lagrange Réginald, Le réalisme du principe de finalité, éd ESR, p 151.
  16. En effet tout être est constitué d’essence et d’existence. L’essence est la quiddité de la chose et l’existence est cette quiddité réalisée dans la Réalité concrète. Exemple : un personnage de roman n’existe pas, mais j’en conçois bien une sorte d’être dans mon esprit : c’est son essence. Par contre tel homme que je connais est un être que je conçois (essence) mais qui  de plus, existe bel et bien (existence). Ainsi la nature en acte est l’essence en tant que principe d’activité dans la réalité concrète de son existence.
  17. Saint Thomas d’Aquin, ST, Ia, Q 21, a1, ad 3.
  18. Pedro Descoqs SJ, le mystère de notre élévation surnaturelle, Beauschesne, 1932, p.119, cité in « peut-il exister une politique chrétienne, Bernard de Midelt, 2011, p.44. (Pedro Descoqs fut lourdement combattu par Lubac et ses amis notamment dans l’ouvrage Surnaturel).
  19. De la même manière Saint Thomas explique l’existence nécessaire de l’intellect agent vis-à-vis de l’intellect passif. Car pour penser en acte, l’intellect passif nécessite une fonction actualisatrice de par sa nature d’intellect.
  20. Saint Thomas d’Aquin, De Regno, ch. I, l. 20-21.
  21. « Dans » et  non « par », le bien commun, fin de la société politique, n’est pas un moyen pour le bien particulier.
  22. R.P. Garrigou-Lagrange, la synthèse thomiste, dans l’appendice, « la nouvelle théologie, où va-t-elle ? », cité in « peut-il exister une politique chrétienne, Bernard de Midelt, 2011, p.38.
  23. Bernard de Midelt, Peut-il exister une politique chrétienne ?, diffusion AFS, 2011, p. 34.
  24. Julio Meinvielle, Conception catholique de la politique, 1932, Edition Iris 2009, p25, cité in Bernard de Midelt, Peut-il exister une politique chrétienne ?, diffusion AFS, 2011, p. 34.
  25. Thomas d’Aquin st, ST Ia Q 23, a 1.
  26. Thomas d’Aquin st, ST Ia IIae, Q 62 a 1.
  27. M-L Guérard op , Dimensions de la Foi, éd Cerf 1952, t 2 p 226.
  28. De l'avis de nombreux théologiens il s'agit d'une connaissance de Dieu d'ordre naturel. Jean de Saint-Thomas écrit : "contemplatio Dei per suos effectus" (la contemplation de Dieu par ses effets) in Cursus theologicus, t 2, disputatio 12, a 3, n 23. Le p Th. Deman précise : « Prenons garde dès ici qu’en agréant comme béatitude, fut-ce imparfaite, la connaissance humaine de Dieu, notre docteur fait de cette opération une fin, et à laquelle la nature intellectuelle chez l’homme est ordonnée. Elle n’est ni moyen ni terme provisoire : elle est fin, quoiqu’imparfaite. » (Deman Th., H. de Lubac, Surnaturel, Bulletin Thomiste, VII 1950, pp 422-446
  29. Thomas d’Aquin st, De Veritate, Question 14 (La Foi), Article 2.
  30. Praeterea, quanto aliquod bonum est communius, tanto divinius, ut patet in 1 Ethic. Aristote, Ethique, Préambules, [1094, b 10]. Thomas d’Aquin, In Pol., I, I, n 11. On pourrait dire équivalemment : « Plus générale est une finalité, car le bien dont on parle ici est un bien-fin, plus elle est divine (ou meilleure elle est) »
  31. Thomas d’Aquin st, Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3
  32. De Koninck Charles, Œuvres - La primauté du bien commun, tome II, volume 2, éditions PUL 2011, p 278. Cf. également pp 242 et 243.
  33. Ibidem, p 336
  34. Thomas d’Aquin st, ST III, q65, a 3, ad 1 : a.3 La hiérarchie des sacrements […] : « Le bien commun spirituel de l’Eglise réside substantiellement dans le sacrement de l’eucharistie lui-même. ». Où l’on pèse un peu mieux l’importance extrême de conserver la messe de toujours. Et le sophisme qui voudrait nous faire croire qu’il faille être en « accord pratique » avec Rome pour le bien commun de l’Eglise…
  35. Rappelons-le, le bien commun est participé et non pas prédiqué (comme un accident de la substance). Il fait corps avec le citoyen comme l’ordre naturel fait corps avec la nature.
  36. Serge-Thomas Bonino op, Faut-il une « philosophie thomiste »?, Nova et Vetera, n° 1, janvier-mars 2011.
  37. H. de Lubac, Surnaturel – Etudes historiques, éd Aubier 1946, p.254.
  38. Denis Sureau, Communautarisme catho et théologie politique, Présent du 04/08/2007.
  39. A. Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de saint Thomas d’Aquin, éd Le Sel (21/11/2009), p 142.
  40. Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de Saint Thomas d’Aquin, Édition Le Sel, p 143 .
  41. Abbé Benoit de Jorna, L’Eglise lumière de la Cité, in Vu de Haut n°14, p18, 2008.
  42. Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne ou politique « séparée », in Courrier de Rome Janvier 2013.
  43. L. Jugnet, Con. pens. St. Th. Chap I, p.33.
  44. Pie X, Pascendi, 1907.
  45. Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de Saint Thomas d’Aquin, Édition Le Sel, p 143
  46. C'est-à-dire la non-exigence de la nature.
  47. Pie XII, Humani Generis, 1950.
  48. Santiago Ramirez, Peuples et gouvernants au service du bien commun, conférence du 23 au 27 octobre 1951 à l’Institutio social Leon XIII de Madrid.
  49. Léon XIII, Immortale Dei (01/11/1885).
  50. Pour ce qui concerne la science politique, les authentiques thomistes se sont élevés contre la théorie fidéiste de J. Maritain qui voulait subalterner cette science pratique de la Cité à la théologie
  51. A. Gauthier op, Introduction au Contra Gentiles de Thomas d’Aquin, éd Lethielleux 1961 p 115.
  52. Initialement le p. Descoqs a écrit « intuitive ». Mais il a corrigé cet adjectif par la suite dans la Nouvelle revue théologique » (1939).
  53. Descoqs Pedro sj, Le mystère de notre élévation surnaturelle, éd Beauchesne 1937, 136 pages, p 126.
  54. Gagnebet M-R op, L’amour naturel de Dieu chez saint Thomas et ses contemporains, Revue thomiste 1948-III et 1959 I-II, 1959 p 68 qui cite De An, a 16 et 17.
  55. Autre définition : L’ordre naturel est l’ordre où Dieu donne à chaque nature son être et son action propre, et les conserve. Comme on le voit les mots droit et loi n’apparaissent pas dans ces définitions. Parler d’ordre naturel ne se ramène donc  pas à parler de droit naturel ou de loi naturelle.
  56. Mgr Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, éd Salvador/Casterman, Tome I, Livre II, Deuxième section, ch II L’humanité. Cf. pp 319 et sq. Rappelons que ce précis était l’ouvrage de base en théologie dogmatique du Séminaire français de Rome avant la révolution moderniste. A noter que le Séminaire d’Écône de la FSSPX tendrait à être l’héritier doctrinal du Séminaire français de Rome.
  57. « La nature restée intacte après la chute ».