Introduction

Combien de fois n’avons-nous pas entendu nos détracteurs se moquer ou se plaindre ou, pire encore, combattre l’attitude disputative qui consiste à revenir aux principes de philosophie lorsque nous traitons de sujets politiques ? Or, si il y a bien un principe méthodologique à tenir en science politique, c’est bien celui de l’importance d’une doctrine philosophique préalable à tout système politique.

 


1. La politique n’est pas une addition de sciences particulières

Tout d’abord il faut se rendre compte que la science de la cité qu’on appelle science politique, n’est pas une addition de sciences particulières comme l’anthropologie, la sociologie, la psychologie (surtout pas au sens moderne de psychanalyse), l’économie, etc.[1] Au contraire, la Politique est une science spécifique à part entière. Elle est l’intellection du Réel spécifiquement concentrée sur la vie des hommes en société. Cette science ne cherche pas seulement à intelliger la Cité, mais à produire un agir dans celle-ci.

 


2. Il y a un lien principiel entre politique et philosophie

Il découle de ce premier point un lien radical entre le Politique et la Philosophie : il n’y a pas de conception du monde et donc du politique qui est « le dispositif central de l’ordre naturel »[2] sans un système philosophique.

« Dans la manière d’être et l’évolution du politique, les idées (les doctrines) des hommes influents jouent un rôle considérable. »[3]

Ce fait tombe sous le sens : « les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’Économie ou de la Politique ont plus d’importance qu’on ne le pense généralement. À vrai dire, le monde est presqu’exclusivement mené par elles. »[4]

Toute conception du monde suppose une philosophie, qu’on en ait conscience ou non. L’affirmation de n’importe quelle doctrine suppose nécessairement acquis, même si non formulés, les principes rudimentaires et pourtant fondamentaux d’une philosophie. Par exemple, un papou dans la jungle ne pourrait pas enseigner à un membre de sa tribu les vertus qu’il croit magique de tel ou tel talisman sans que ce sauvage ne conceptualise à un degré minimal les principes d’identité, de contradiction, de changement, etc. Sa conception du monde, aussi grossière ou fausse soit-elle, repose en définitive sur un système philosophique.[5]

 


3. Les liens directs entre Politique et Philosophie

  • La politique suppose une anthropologie métaphysique[6], « c'est-à-dire une étude en profondeur de l’homme total (rapport entre pensée et organisme, entre liberté et déterminisme, etc.). Il est certain que l’on ne pourra avoir la même politique selon qu’on réduit ou non l’homme à des forces purement matérielles (matérialisme) »[7]. En effet « La raison humaine (de l’homme politique) ne doit pas seulement pouvoir disposer des matériaux qui s’offrent à son usage ; elle doit encore disposer des hommes eux-mêmes, en tant qu'elle les gouverne.[8] »
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  • La politique suppose une théorie de la connaissance[9]. La conception radicalement opposée entre la doctrine de la valeur réelle des concepts et son antithèse, la négation de la possibilité même de la connaissance, et en fin de compte la négation de l’existence du monde et de la vérité. « C’est ici que s’affrontent notamment l’idéalisme et le réalisme : […] qui désigne l’affirmation (réalisme) ou la négation (idéalisme) de l’existence de l’univers indépendamment de la conscience humaine. »[10]
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  • La politique suppose encore une métaphysique : étude des concepts de l’être, étude des causes, etc. « Les options philosophiques fondamentales, par exemple sur l’être et le changement et sur l’unité ou la pluralité se traduisent directement dans les options politiques : qu’est-ce que le progressisme et l’attitude contraire, sinon le corollaire d ‘une philosophie qui accepte, ou qui refuse le pur changement, l’écoulement perpétuel de tout ? Qu’est-ce que les régimes totalitaires et, inversement, l’individualisme libéral, sinon le corollaire politique d’une certaine vue globale de l’unité et de la pluralité, appliquée à la société ? »[11]

« On n’analyse vraiment bien une doctrine politique que lorsqu’on connait ses racines philosophiques, explicites ou non. »[12]

 


Conclusion

Il est souvent impossible de discuter sérieusement de politique plus d’une minute avec bon nombre de nos contemporains chez lesquels l’idéologie, et plus souvent encore l’ignorance et l’affaiblissement de l’intelligence (illogisme basique !), interdisent toute argumentation quelle qu’elle soit. Il n’est pas rare de se retrouver dans l’impossibilité de répondre à telle ou telle « théorie » que nous croisons (surtout dans notre famille de pensée), tant la faiblesse du raisonnement recèle d’erreurs philosophiques de première importance pour lesquelles il faudrait des heures d’explication en amont de la discussion, pourtant en cours à ce moment-là.

Un exemple simple : le surnaturalisme. Comment répondre à l’assertion : « la finalité de l’État est subordonnée à la fin surnaturelle » ? Une telle aberration demande l’exposition de multiples concepts tant philosophiques que théologiques (la carence doctrinale de l’auteur de ce type d’assertion n’est pas uniquement philosophique) : notion de nature, notion d’ordre, notion de cité, notion de tout, notion de partie, notion de bien, notion de cause, notion de finalité, etc. et en théologie : exigence de surnature, gratuité du salut, nature de la vision béatifique etc.

La politique n’est pas simple. C’est même la plus complexe des sciences naturelles, puisqu’elle est la science architectonique dans l’ordre naturel. Puisqu’elle est imparfaite dans l’ordre de l’agir, elle n’est pas une science exacte, mais une science pratique.

Ne traitons donc plus de politique sans prendre la résolution d’étudier préalablement la philosophie.

 

Thomas Audet
Pour Stageiritès

 


[1] Louis Jugnet, Problèmes et grands courants de la philosophie, Edition Cahier de l’ordre Français, p.31.

[2] Bernard de Midelt, in Le soleil d’Aristote illumine l’Occident, AFS tiré à part N°198, p.8.

[3] Louis Jugnet, Problèmes et grands courants de la philosophie, Edition Cahier de l’ordre Français, p.32.

[4] J-M Keynes, Une vue générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, p.397.

[5] Et non sur un système de Valeur, mais tel n’est pas ici le débat.

[6] Formule pertinente de Roger Vernaux pour qualifier ce qu’il est malheureux d’appeler psychologie lorsque l’on traite en thomisme de la Philosophie de l’homme, Beauschène.

[7] Louis Jugnet, Problèmes et grands courants de la philosophie, Edition Cahier de l’ordre Français, p.33.

[8] Thomas d’Aquin, Com Pol, I, 1, n 4.

[9] Par ces mots nous entendons précisement ce qu’expose La critique de la connaissance, de Joseph de Tonquédec, Beauchèsne, 1929.

[10] Louis Jugnet, ibid.

[11] Louis Jugnet, ibid, p.33-34.

[12] Louis Jugnet, ibid, p.34.